mercredi 27 juin 2012

On se retrouve de l’autre côté !

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente

Bon allez, il est temps. Les fonds sont sur le point de regorger de vivres pour au moins trois semaines, avec stock de bananes, de papayes et de mangues. Les réservoirs d’eau et de gasoil sont pleins. La coque est nettoyée, les winchs graissés et les voiles révisées. On peut y aller, et on va y aller. Le départ est programmé pour ce jeudi 28 juin, demain donc, aux alentours de midi.

Je sais, je n’ai pas été trop disert ces derniers jours et vous êtes peut-être un peu surpris de ce départ soudain. C’est exprès.

En fait, je ne voulais pas vous infliger, ainsi qu’à moi-même, un faux départ si par ailleurs mes projets venaient à être modifiés. De plus, je commence à me connaitre, le fait de fanfaronner à l’avance sur mon départ n’aurait fait qu’ajouter à ma pression.
Car pression il y a je vous prie de le croire. J’ai beau avoir essayé de ne pas trop y penser, mais il suffit d’énoncer à haute voix ce que je m’apprête à accomplir pour que soudain mon souffle et mon cœur s’accélèrent. Je vais faire la traversée de l’Atlantique en solitaire.

Dit comme ça, j’ai conscience que ça a une certaine classe... Ça le fait, comme on dit, et ça le fera encore plus lorsque je conjuguerai cette phrase au passé composé. Mais j’ai conscience aussi que l’aura qui entoure cette phrase est quand même un peut surfait. Je vais peut-être décevoir certains d’entre vous, mais une transat, c’est quand même assez simple. Je vous parle d’une transat classique hein ? Genre Cap Vert-Caraïbes en plein mois de janvier, avec des alizés puissants et bien établis.
Et bien dans ces conditions vous n’avez pas grand-chose à faire. Vous hissez vos voiles au départ et vous n’y touchez plus, vous vous glissez sur les rails... Et hop, quinze jours plus tard vous êtes sous les cocotiers à boire des ti-ponchs.

Marina de Jacaré-Village côté face


En ce qui concerne la Boiteuse, et sans vouloir en rajouter non plus, ça va être une toute autre limonade... Car je vais avoir le fameux Pot au Noir à traverser. C'est-à-dire une zone ou les vents sont instables, multidirectionnels, voire même inexistants. Bref, d’un point de vue strictement navigatoire (oui, j’invente des mots si je veux), je vais avoir à chercher le vent et essayer de tirer le meilleur parti des qualités de ma Boiteuse.
Remarquez, l’avantage de la chose c’est que je ne risque pas de m’emmerder. Mais en même temps je ne vais pas aller très vite non-plus... Bref, il va me falloir allier à la fois technique et patience.

J’ai décidé de rallier le Brésil par la marina de Jacaré, près de la ville de Cabedelo (Position : 07°02.71264S 34°51.3761W). Juste au nord de la grande ville de João Pessoa. D’après mes lectures et le bouche à oreille, c’est là un point de chute idéal, à la fois pour aborder le Brésil, mais aussi pour y séjourner... M’enfin, on verra bien sur place, mais je ne vous cache pas que j’ai hâte de découvrir cet endroit. Et le fait d’y retrouver mes copains Stéphane, Séverine, Hugues, Caroline, et les deux puces Lily et Betty, n’y est pas étranger non plus.

et côté pile !


Voilà chers lecteurs, je vais vous laisser pendant quelques semaines et on se retrouve de l’autre côté ! Sérieusement, vous imaginez un peu ? Un autre continent, un autre pays... Une autre vie peut-être ? J’ai l’intuition que ça va être bien.

Et puis si c’est pas bien, on ira voir ailleurs !

PS : Ne commencez pas à me demander combien de temps cette traversée va prendre, je vous enverrai bouler. Disons que vous pourrez commencer à vous faire du souci si vous n’avez pas de nouvelles d’ici un mois ! Pas avant !

lundi 18 juin 2012

Une grande décision

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente, Cap Vert

Vous vous demandez surement pourquoi la Boiteuse et moi nous nous trouvons encore accrochés au ponton de Mindelo au Cap Vert... Rassurez-vous moi aussi.
En fait, je vais vous la faire simple en vous disant qu’en ce moment j’ai plutôt la tête à l’envers. J’introspectionne comme qui dirait.

Philippe
Tout à commencer à cause de mon désormais voisin de ponton, Philippe. Oui, quand j’y repense, c’est de sa faute si j’en suis à me poser toutes ces questions...
J’ai rencontré Philippe il y a deux mois à Las Palmas. Nous avions sympathisé, et ce fut avec joie que nous nous retrouvâmes ici au Cap Vert. D’autant que nous avions le même programme de navigation, à savoir la Patagonie. Marin expérimenté, Philippe eut à cœur de me prévenir de ce qui m’attendait là-bas... Et à m’inciter à y renoncer. Oh il ne l'a pas fait de façon ostentatoire non, mais par petites touches discrètes et sensées qui peu à peu cheminèrent dans mon esprit.
Au début, vous me connaissez, j’ai fait un peu le fiérot. Les courants contraires, les algues qui se prennent dans l’hélice, les vents catabatiques, le froid... Bien sûr que j’allais pouvoir gérer tout ça les doigts dans le nez ! Et puis les mouillages tous les soirs avec double ancrage et aussières accrochées aux arbres, même pas peur ! J’étais d’autant plus têtu que cela fait quand même plus de deux ans que je rêvais de ça, et je n’allais tout de même pas lâcher le morceau aussi facilement.
Et puis... Il a bien fallu que je me rende compte que l’entreprise déjà pas mal compliquée au départ risquait de devenir scabreuse dès lors que je l’appréhendais en solo.

En fait pour que je me rende compte de ça, il m’aura fallu passer par une étape assez déstabilisante que j’appellerais une période de « pas-envie ». C'est-à-dire que je me suis retrouvé avec mon bateau prêt, une fenêtre météo correcte pour le weekend dernier, et une absolue non-envie de partir. Limite flippant comme état d’esprit je vous prie de me croire... Et il m’aura fallu des jours et des nuits de prise de tête pour me rendre compte que si je n’avais pas envie de quitter le Cap vert c’était parce que déjà au niveau de mon inconscient j’avais fait une croix sur la Patagonie. Pas de Patagonie, donc pas besoin d’aller aussi bas sur la côte du Brésil, donc pourquoi partir ? Voilà en gros ce qui se passait dans ma tête sans pour autant arriver à l’énoncer clairement. Oui, je l’ai déjà dit, je suis un garçon compliqué. 

La côte est de São Vicente vers Calhau
Donc, maintenant que mon cerveau a accepté de changer ses plans, il s’agit maintenant d’en tirer d’autres. Ou pas.
Ce qui est certain c’est que contrairement à mon plan initial, je vais me diriger vers le canal de Panama. Tant pis, je vais engraisser les grandes compagnies mais en même temps je me dis que ça peut être intéressant d’emprunter ce passage hautement commercial pour justement mieux le critiquer... Bref, voici donc le programme pour l’année, ou les années, à venir :
D’ici quelques jours départ pour le Brésil. Puis à l’automne, remontée vers les Caraïbes sans programme bien défini. Il y aura quelques passages obligés bien sûr, comme Cuba, la Colombie, le Venezuela, le Costa-Rica. Mais pas forcément dans cet ordre ni même en l’espace d’une saison... Je vais y aller à mon rythme et selon mes envies.

Je m’étais dis il y a bien longtemps que je me réservais le droit de modifier mon « programme » au gré de mes humeurs, et je crois toujours que c’est une bonne philosophie... Mais je ne pensais pas que ce serait si difficile et si douloureux. Je m’aperçois que malgré mon changement de vie, je traine toujours avec moi le même défaut : Je suis doué d’une très forte inertie. Tel le pétrolier de 120 mille tonneaux, il me faut déployer des efforts formidables pour arriver à changer de cap. Bon, je me rassure en me disant que l’avantage c’est qu’une fois lancé il est difficile de m’arrêter... Et que l’opiniâtreté c’est pas mal comme qualité, mais tout de même... N'empêche, un peu plus de souplesse intellectuelle et de spontanéité ne serait pas pour me déplaire !

Concernant la Patagonie, j’aurais certainement d’autres occasions d’aller visiter ses fameux canaux... Je reste persuadé dans un coin de ma tête qu’un jour j’irais là-bas, mais certainement pas avec la Boiteuse et surtout pas tout seul. On verra dans quelques années... Ou pas !

Cela dit, voyez le bon côté des choses. Votre serviteur et son équipage félin vont rester sous des latitudes bien chaudes à se la couler douce plutôt que d’affronter les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants ! 

Et puis aussi, je vais continuer à porter des tongs !

Il y a pire comme décision dans la vie, n’est-ce pas ?

Ma vie en tongs. C'est pas mal comme titre pour un bouquin, non ?

lundi 11 juin 2012

Un pur moment

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente, Cap Vert

Vous savez, ou du moins vous vous doutez, que ma vie sans être réellement parfaite n’en n’est pas moins  pleine de bons moments. D’ailleurs c’est bien pour ça que j’ai choisi cette vie parce que sinon je ne vois pas trop ce que je ferais... Mais bon, là n’est pas le sujet.
Je cumule les bons moments disais-je, mieux je les cultive. Je les traque, je les débusque et j’en savoure chaque seconde comme s’ils étaient de l’ambroisie.
Cela peut être au cours d’une bonne discussion au milieu d’un ponton ou à la terrasse d’un café. Ce peut être en mer quand mon corps ne fait qu’un avec la Boiteuse. Ou encore quand je prends mon café du matin saturé de lait concentré sucré... Ou même un simple rayon de soleil sur mon visage ! Bref, je jouis de la vie autant que je peux. C’est comme ça que j’ai choisi de vivre, et ceux qui trouvent ça indécent, immérité ou que sais-je, n’ont qu’à aller se faire voir.

Je cultive le bonheur au quotidien disais-je, mais parfois il arrive que ces moments frisent le sublime, l’apothéose orgasmique, le pied intégral. Parfois c’est tellement fort que je sens littéralement l’endorphine m’emplir les veines et parcourir mon corps comme une vague. Du plaisir à l’état brut. Et je ne parle pas de cul, entendons-nous bien.

Pourquoi je vous parle de ça ? Et bien tout simplement parce que je viens de vivre un de ces moments pas plus tard que ce matin pendant que j’étais au supermarché.
Ben oui, au supermarché. Il n’y a pas d’endroits prédéterminés pour être heureux, ça peut très bien vous arriver au supermarché... La preuve, ça m’est arrivé ce matin.

Donc, j’étais au supermarché et ne voilà t’y pas que le bidule de ma tong droite cède. Vous savez, le machin qui passe entre les doigts de pieds... Le truc en plastique ! Bref, il casse.
Pendant quelques secondes je suis resté comme un con à regarder ma tong, comme si le fait d’examiner ce bout de plastique maintenant parfaitement inutile, pouvait par je ne sais qu’elle opération magique, le ressouder. J’étais là, ma canne sur le bras, mon panier dans une main et ma tong dans l’autre, au milieu des gens qui faisaient leurs courses... Ce fut un petit moment de solitude je dois le reconnaitre.
Quelques secondes passent, et je décide alors de retirer mon autre tong et de marcher pieds nus dans le supermarché. Au début, je croyais bêtement que tout le monde me regardait alors je me tenais bien droit et je rentrais le ventre... Mais au bout d’un moment j’ai réalisé que c’était très agréable de sentir la fraicheur du carrelage...
Comment vous dire... vous avez tous marché pieds nus dans votre salon, votre salle de bain, votre cuisine. Peut-être même vous aventurez-vous sur votre terrasse ou votre bord de piscine... (J’ai peut-être des lecteurs pétés de thunes ?) Mais l’avez-vous déjà fait dans un supermarché ? Franchement, c’est le pied ! Et que dire lorsque je me suis mis à arpenter le trottoir et à traverser la rue ? C’était fantastique.

Il faut que je vous dise qu’il y a de cela un peu plus d’un an, lorsque j’ai commencé ma nouvelle vie et que je marchais pieds nus sur les pontons en bois de la marina de Saint Laurent du Var, j’avais l’air d’un apprenti marcheur sur le feu. Vous voyez le genre ? A chaque pas, c’était aïe, ouille, aïe, ouille !
Et puis mes pieds se sont faits à la liberté. Je me suis fait le cuir comme on dit. Au point que maintenant il m’arrive souvent de quitter le bateau et de devoir faire demi-tour pour aller chercher mes claquettes parce que je les ai oubliées. Mieux, de sentir les lattes de bois sous ma plante nue s’apparente à un plaisir.

Mais se balader les pieds nus sur un ponton n’a rien à voir avec le fait de parcourir les rues d’une ville... Waouh... J’étais sur mon petit nuage et je marchais tranquillement en me foutant du regard des autres. J’ai traversé la rue et je suis entré chez le chinois le plus proche pour me racheter une paire de tongs. 1,70 € plus tard (ben oui, c’est de la pompe économique) j’ai fourré mes nouvelles tongs dans mon sac avec les vieilles, et j’ai continué ma route pour rentrer au bateau... Pieds nus.

Sur le chemin du retour alors que je passais sous un splendide flamboyant en fleur, je sentais les gravillons sous mes pieds. Je sentais le goudron, la terre, l’herbe du terre-plein du bord de mer... Je sentais le bonheur remonter le long de mes jambes jusque dans mes poumons et les serrer très fort. J’étais heureux.

Voilà, je voulais vous faire partager ce moment qui, j’en ai conscience, relève pourtant de l’intime. Il se peut très bien que vous ne compreniez pas un traitre mot de ce que je vous raconte, ou du moins que vous ayez vous-même d’autres sources de bonheur... Plus orthodoxes. Mais s’il y avait une chose que j’aimerais que vous reteniez de tout ça, c’est que le bonheur n’est pas un moment rare. Il peut vous tomber dessus à tout moment en fait. Il faut juste apprendre à le détecter et à profiter de lui au maximum. S’arrêter pendant un instant de penser et se dire « Tien, en voilà un. Je le savoure pour ce qu’il est. »
Et vous verrez qu’à la longue, un rayon de soleil sur votre visage, l’odeur de la pluie, marcher pieds nus... Toutes ces choses a priori banales peuvent devenir de purs moments.

jeudi 7 juin 2012

Ô mon bateau...

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente, Cap Vert

Loin de moi l’idée de vouloir jouer à celui qui a la plus grosse, ni même de vouloir comparer ce qui est incomparable, mais lorsque je regarde ma Boiteuse la première chose qui me vient à l’esprit c’est que de tous les bateaux, c’est le plus beau. Je sais, cela n’a rien d’objectif. J’ai parfaitement conscience que mon regard est comme celui d’un père sur sa progéniture, forcément faussé par les sentiments, forcément aveugle quelque part.
Mais que voulez-vous, c’est ainsi. A mes yeux la Boiteuse est élégante, racée. Elle a de la gueule et de la personnalité. Même ses défauts, et il y en a, sont pour moi des qualités, et quand je regarde mes voisins, parmi lesquels figurent tout de même de jolies coques comme des Swan ou des Najad, ceux-ci font pâle figure par rapport à mon obscur et rare Konsul 37.

Pourquoi je vous parle comme ça de ma Boiteuse ? Ah oui, c’est parce que je l’ai bichonnée et qu’elle est fin prête pour sa transat. Enfin presque... Sa coque est toute gratouillée et tous ses petits bobos ont été réparés. Il n’y a plus qu’à remplir les fonds avec de la bouffe pour le Capitaine (c’est moi) et son second (c’est Touline), rajouter quelques litres de gasoil pour éviter de s’emmerder dans le pot au Noir, et on pourra y aller.
J’avais initialement prévu de partir aujourd’hui pour tout vous dire. Je m’étais concocté un petit départ sans tapage médiatique ni fioritures, dans le genre discret qui sied aux vrais aventuriers. Mais hier après avoir consulté les prévisions météo pour la semaine à venir il m’a bien fallu me résoudre à surseoir...

Balaise le truc !
Est-ce que vous avez vu un peu la taille de cet anticyclone ? Il est balaise hein ? Je crois bien que c’est la première fois que je vois l’anticyclone des Açores couvrir ainsi l’intégralité de l’océan Atlantique... Du coup, au sud du Cap Vert c’est pétole. Le peu de vent qu’il y a semble vouloir souffler un peu dans tous les sens et me laisse présager de longues journées à me faire balloter sans pouvoir avancer.
C’est que mine de rien, j’aimerais autant passer vingt jours en mer plutôt que trente.

Donc je sursois (j’aime bien ce verbe) jusqu’au début de la semaine prochaine en espérant que ce monstre se dégonfle un peu et génère quelques risées susceptibles de me faire avancer à plus de quatre nœuds. Parce que les forts en maths auront déjà compris que 2000 milles à quatre nœuds, ça fait exactement 20,83... jours. C’est la durée que je me suis fixée dans ma tête depuis longtemps, tout en sachant que ça peut être plus long, et très probablement plus court... Ça va ? Vous suivez ?



Bon, en attendant le départ vous allez être gâtés puisque vous allez pouvoir m’entendre dedans la radio. Je passe ce soir dans l’émission Allo la Planète sur le Mouv' avec mes copains du Valinouk, Stéphane et Séverine que j’ai rencontré ici à Mindelo... 

Stéphane et Séverine
Et qui c'est la plus belle ?
Là, je ne sais pas quoi dire !

lundi 4 juin 2012

Jour de vote à Mindelo

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente, Cap Vert

Le patio de l’Alliance Française de Mindelo est un endroit très agréable. Un bar, une serveuse ultra-mignonne carrossée comme une petite poupée créole et avec un sourire à vous faire fondre. Quelques tables et chaises disposées sous une clairevoie en palmes tressées, quelques plantes vertes, des pinsons qui viennent picorer sous les tables... Bref, un endroit idéal pour siroter un café et consulter ses mails. Mais pour l’heure, alors que j’y pénètre le décor est tout autre car le bar est fermé et la serveuse n’est pas là. Les tables ont été regroupées en larges îlots et les chaises placées le long du mur. Une urne transparente trône sur une table, quatorze piles de bulletins sur une autre, de larges panneaux numérotés tapissent les murs, un isoloir occupe un des coins... Pas de doute, je suis bien dans un bureau de vote.

C’est que ce dimanche 03 juin a lieu le premier tour des élections législatives pour les français de l’étranger et le décorum républicain s’est transporté jusque dans la petite ville de Mindelo au Cap Vert à 4000 Km de Paris. Le code pénal sert de presse-papier à la liste d’émargement, les deux assesseurs sont présents et vérifient les  identités des électeurs et la stricte observance de la procédure. Si ce n’était ce patio à ciel ouvert, les petits galets qui empêchent les bulletins de s’envoler et que nous sommes dans un bar, on se croirait bel et bien dans une salle de mairie ou dans une école bien française.
A mon entrée je croise un électeur qui vient de faire son devoir, puis je rejoins les deux consuls, le Général et l’Honoraire, qui font office d’assesseurs.

Si je suis là, en ce beau dimanche de juin, au lieu de fourbir ma Boiteuse pour sa traversée de l’Atlantique, c’est parce que cela m’intéressait de voir comment le rituel républicain s’appliquait si loin de la métropole, et en pays étranger qui plus est. J’avais fait part de mon intérêt lors d’une précédente rencontre avec le Consul et celui-ci avait gentiment accepté ma présence comme « observateur ». Donc me voilà, et j’observe avec une certaine fierté mêlée de nostalgie ce décor exotique où s’installe de façon éphémère une petite part des coutumes de mon pays.
Fierté, parce que quelque part moi ça me plait de voir comment ça marche la démocratie. Même si celle-ci est souvent tronquée, bafouée (J’ai toujours 2005 en travers de la gorge !), détournée, elle n’en reste pas moins une belle chose. Et puis je suis nostalgique parce que mon statu de marin vagabond m’a privé de mon droit de vote et que ça me fait bien chier...

L’ambiance dans le patio de l’Alliance Française est plutôt tristounette malgré le décor agréable et coloré. C’est que les assesseurs s’ennuient ferme et s’ennuieront ainsi toute la journée. Ils le savent, l’expat' n’est pas un citoyen modèle. En règle générale le taux de participation ne dépasse jamais les 50%, et encore lorsqu’il s’agit d’élections présidentielles. Parce que pour les autres on est plutôt plus proche de l’anecdotique que du plébiscite.
A la fin de la journée, seulement 14 citoyens français sur les 98 inscrits sur la liste électorale du bureau de Mindelo, se seront déplacés pour voter. Plus deux votes électroniques.
Vous allez me dire que cela fait beaucoup de temps et d’argent dépensés pour un pelé et deux tondus... Oui, sans doute. Mais je vous répondrais que la démocratie si elle a un coût, n’a par contre pas de prix.
Vous allez peut-être aussi me dire que cette histoire de législatives pour les expat's, c’est un moyen pour la précédente majorité de se « fabriquer » quelques députés de plus... Peut-être aussi, sauf que dans la 9ème circonscription qui regroupe le Maghreb et l’Afrique occidentale on a voté à 61,7% pour François Hollande. Et que cette circonscription regroupe tout de même plus de 98 000 électeurs. Il y a près d’un million et demi d’expatriés français de part le monde... Ça en fait des voix et à mon sens elles doivent pouvoir s’exprimer.
Enfin, les plus géographes d’entre vous me diront que dans un archipel les déplacements sont plus compliqués... Oui, sans doute. Mais je vous rétorquerais que l’internet n’est pas fait pour les chiens.
Mais bon, encore faut-il que ces voix aient envie de le faire. Car l’expat' peut se sentir trop loin des préoccupations nationales, déconnecté en quelque sorte. Une déconnexion qui se transformera comme par miracle en connexion dès qu’il s’agira de faire valoir ses droits...
Toujours est-il que parmi les 14 votants de ce premier tour des législatives, au moins dix d’entre eux étaient des binationaux d’origine capverdienne. Cela en dit long sur la notion de civisme n’est ce pas ?

A voté !
18H00, le vote est clos et le dépouillement peut commencer. Le Consul relit à voix haute les dispositions du code électoral relatives à cette partie du scrutin... « Vous devez ensuite regrouper les enveloppes qui contiennent les bulletins par paquets de 100... ». Tout le monde éclate de rire et le paquet de 14 enveloppes est posé bien en vue sur la table. Tout compte fait, la paperasse prendra bien plus de temps que le décompte des voix !

Résultats provisoires pour le bureau de vote de Mindelo.
14  votants, 13 suffrages exprimés plus un nul (ben oui y’en a un qui a été fichu de raturer son bulletin), deux votes électroniques non comptabilisés (ils le seront plus tard).

Laetitia Suchecki, Front de Gauche : 2 voix.
Karim Dendene, Rassemblement des Français de l’Etranger (Villepiniste) : 2 voix.
Khadija Doukali, UMP : 04 voix.
Pouria Amirshahi, PS : 05 Voix.


La semaine prochaine les français résidents sur les iles São Vicente, Santo Antão, Santa Luzia, São Nicolau, Sal et Boa Vista, devront se rendre de nouveau aux urnes pour départager les deux finalistes... Espérons que le civisme reprendra ses droits.