lundi 22 avril 2013

vendredi 19 avril 2013

Marché noir

34°26.602S 58°31.795W
Buenos Aires, Argentine

Vous le savez, ou du moins vous devriez le savoir, je ne me considère pas comme un touriste mais plutôt comme un voyageur. Je sais, la différence est subtile et je suis sans doute le seul à la faire, mais pour moi c'est important. Et vous le savez également, je suis plus intéressé par l'aspect social et politique des pays que je visite, plutôt que par les musées, et les jolis paysages.
Aussi, ceci étant rappelé, s'il y en a parmi vous (et il y en a sûrement) qui ne supportent pas quand j'ouvre ma gueule pour autre chose que des histoires de navigations, je leur conseille de zapper cet article et d'attendre le prochain. Parce que aujourd'hui je vais vous parler de politique, de marché noir et de dictature (et voire même de religion si je suis en forme !).

En fait, tout à commencé en Uruguay... Lorsque j'ai débarqué dans ce pays, j'ai été surpris de constater que l'on pouvait retirer dans les distributeurs automatiques aussi bien des Pesos Uruguayens que des Dollars Américains. De même, lorsque j'ai voulu acheter mon nouveau PC portable à Montevideo, le vendeur m'a donné le choix entre ces deux monnaies pour régler mon achat. Et je ne vous parle pas des restaurants qui affichent le prix des plats dans ces deux monnaies, ainsi qu'en Pesos argentin... Au début, je ne comprenais pas grand chose à la situation. J'étais comme qui dirait, perplexe. Je me disais que ce devait être une coutume locale, un truc qui avait à voir avec l'histoire du pays et son possible ancrage avec la monnaie étasunienne. Ou encore, qu'étant donné la proximité avec l'Argentine, il était normal que les commerçants affichent les prix en fonction de la clientèle forcément aisée qui traversait le Rio de la Plata pour passer le week-end... Mais cela n'expliquait pas la présence de Dollar américains dans l'histoire, et il y avait aussi cette petite voix dans ma tête qui me disait qu'utiliser une monnaie autre que celle du pays dans lequel je me trouvais, ce n'était pas rendre service à ses habitants.

Et puis, toujours en Uruguay, mes voisins de pontons toutes nationalités confondues ont commencé à me parler de l'Argentine comme étant le pays où l'on pouvait faire de juteuses affaires pour peu que l'on ait du cash en Dollars américains (Comment ça ? Tu n'as pas de Dollars américains avec toi ? Mais t'es con !). Et ces sympathiques voisins d'ajouter sur le ton de la confidence: « Surtout ne va pas dans les banques pour changer tes dollars, tu y perdrais au change ! ». Lorsqu'il s'agissait d'argentins, j'avais même droit au détail des cotations entre le cours officiel du billet vert et son cours « parallèle ». Comme si l'évidence des chiffres suffisait justement à justifier l’existence dudit marché parallèle.
Moi, de mon côté, j'étais toujours perplexe, et de plus en plus intrigué par cette histoire. Aussi, n'aimant pas plus la perplexitude que les endives, j'ai décidé de faire quelques recherches sur internet et d’interroger plus avant mon entourage afin d'en avoir le cœur net. Et croyez-moi, cela n'a pas été facile, tant le problème est complexe.

la Casa Rosada, siège de la présidence Argentine
Toute cette histoire à commencée lors de la grande crise économique de 2001. Lorsque la bulle internet a explosée (splash!), l'Argentine, qui menait une politique économique ultralibérale depuis la fin de la dictature, c'est retrouvé au bord de la faillite. Bon, je vous passe les détails car même si j'ai pas mal bûché le sujet depuis un mois, je ne suis pas sûr d'avoir tout compris et je risquerais de vous embrouiller. Toujours est-il que le gouvernement de Carlos Menem qui jusqu'alors suivait aveuglément les ordres du FMI et avait la phobie de l'inflation propre aux ultralibéraux, c'est retrouvé à devoir dévaluer sa monnaie dans les grandes largeurs. Du jour au lendemain, près de 57% des argentins se sont retrouvés sous le seuil de pauvreté et le chômage a augmenté jusqu'à 23%.
Du coup, ceux qui avait encore un peu d'argent ont préféré le convertir en devise américaine et l'on planqué sous leur matelas. Bien évidemment, cet argent planqué ne pouvant plus être réintroduit dans le circuit de façon légale, les trafiquants de devises et les officines louches sont apparus.
Depuis, l'Argentine a sérieusement remonté la pente, notamment grâce à la politique de gauche initiée par Nestor Kirchner, et a pu renouer avec une croissance de 9% pendant la décennie qui a suivie. Cette politique, largement inspirée du péronisme, donc forcément nationaliste, a d'abord consisté à dire merde au FMI et à forcer les bailleurs de fonds internationaux à renégocier la dette du pays. A part quelques hedgefunds bien glauques, ceux-ci ont bien été obligé d'accepter, et l'Argentine a pu ainsi alléger sa dette de 50%.

Crisitina Fernandez de Kirchner
Manque de bol pour eux, arrive alors la crise des subprimes de 2008. L’Argentine est alors (et l'es toujours) gouvernée par Cristina Fernándezde Kirchner, la veuve de l'ancien président. Si Nestor avait pu être qualifié de dangereux gauchiste en son temps, c'était un bisounours à côté de Cristina... Pour lutter contre la crise, la cougar argentine prend les choses en main et lance un vaste plan de bataille pour relancer l'économie. Nationalisation des grandes entreprises stratégiques bradées pendant la période libérale. Nationalisation des fonds de pensions et mis en place d'un vrai système de retraite par répartition. Politique de grands travaux. Amélioration du droit du travail et augmentation des salaires. Stricte limitation des importations et soutien aux PME qui produisent du Made In Argentina. Gel des prix pour les produits alimentaires dans les supermarchés, etc. Tout le contraire d'une politique d'austérité, si vous voyez ce que je veux dire.
Mais surtout, Cristina a deux grands objectifs. Premièrement, c'est mettre au pas la grande bourgeoisie argentine, celle des grands propriétaires terriens (ceux qui inondent la planète avec leur soja OGM), et qui fait la pluie et le beau temps dans le pays depuis des siècles.
Et deuxièmement, elle veut que la monnaie de son pays retrouve sa pleine et entière indépendance par rapport au Dollar américain. Elle a donc limité drastiquement l'achat de billets verts, et c'est attelé au démantèlement du marché noir des devises, qui plombe l'économie depuis les années 2000 et permet à quelques individus de s'enrichir en blanchissant l'argent de la fraude fiscale et du travail au noir.

Donc on en est là. En Argentine il existe un marché des changes officiel, strictement encadré, et un marché dit « parallèle », ou « informel », ou « libre », où l'on peut acheter des devises à un cours supérieur de 30% en moyenne. On parle alors d'Euro Bleu, ou de Dollar Bleu.

Alors bien sûr, ce son de cloche n'est pas le seul. L'explication que j'entends le plus souvent est celle-ci : « L’Argentine est un pays avec une forte inflation à cause de la corruption et de la gauche au pouvoir, et placer son argent durement gagné dans une valeur « refuge » comme le dollar, c'est la garantie de ne pas perdre du pouvoir d'achat ». Ce discours-là on le connaît, c'est celui du réactionnaire de base, et c'est le même dans tous les pays. Il y a aussi ce français croisé ici à Buenos Aires, qui croyait dur comme fer que le marché parallèle était légal, et que c'était bien pour ça qu'il s'appelait « parallèle » (il croyait même que c'était Cristina Kirchner qui l'avait mis en place !). Mais le pire est je crois, la complaisance, voire la complicité, de certains sites et forums de voyageurs (le Routard.com par exemple) qui relayent les meilleures combines pour « faire de bonnes affaires ». J'ai même lu, et je cite : « … si tu respectes les lois au pied de la lettre en Argentine, tu es mort ! » Fin de citation. Là, on est clairement dans le There is no alternative, propre au libéral de base sans aucune éthique.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. A limite, que ce soit légal ou illégal, on s'en fout... Ce qui compte c'est : Est-ce moral ? Clairement non. Car lorsqu'un touriste salive à l'idée de gagner 30% sur ses Dollars ou ses Euros, sans chercher à savoir le pourquoi du comment, on n'est même plus dans le registre des petites économies sur le budget du voyage, mais bel et bien dans celui de l’appât du gain. On est dans ce que j'appelle le tourisme aveugle, le tourisme irresponsable. Sans parler que l'avidité de ces irresponsables nourrit tout un réseau de privilégiés et ne profite en aucune façon à la population argentine dans son ensemble.

Plaza de Mayo
L'Argentine est aujourd'hui un vrai champ de bataille où s'affronte les tenants d'un néolibéralisme ultra-conservateur et un réformisme progressiste mâtiné de nationalisme sur fond de règlement de compte avec les années de plomb de la dictature du Général Videla (1976-1983).
Longtemps protégés par la droite, voire amnistiés, les sbires d'un régime qui aura fait près de 30000 morts et disparus passent enfin, un à un, devant les tribunaux. Et ils écopent cher. La tension est palpable dans le pays, et l'opposition se fait de plus en plus agressive au fur et à mesure que les scandales éclatent. Car nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas ce devoir de justice et de mémoire... Tel cet argentin que j'ai croisé l'an dernier au Maroc et qui me disait que le pays devait oublier pour « avancer ». Ou encore, plus tard au Brésil, ce type qui disait vouloir s’exiler et qui réclamait le retour des militaires, seuls aptes à lutter contre la peste rouge, que représentent les réformes entreprises par Cristina Fernández de Kirchner...

Du sang sur les mains
Même l'élection du Pape François, ex-Monseigneur Bergoglio archevêque de Buenos Aires, ex-Provincial des Jésuites argentins, et toujours soupçonné à l'instar de l'ensemble de son église d'avoir été un fervent collaborateur de la junte, fait resurgir les fantômes de la dictature. Sur la Plaza de Mayo, les Mères des disparus ne défilent plus qu'occasionnellement. Elles ont été remplacées par les vétérans de la guerre des Malouines qui ne touchent plus leur pension... Las Malouinas, voilà au moins un sujet qui met d'accord tout le monde, ou presque. La droite comme la gauche proclame encore et toujours que ces îles sont argentines, malgré la pile que la très peu regrettée Miss Tatcher leur a mis en 1982... Tout ça bien sûr, non-pas pour l'intégrité d'un territoire, mais plutôt pour les ressources pétrolières qu'il contient.

Maintenant que j'en ai presque fini avec cet article, vous devez vous demander en quoi cette histoire de marché noir peut m'affecter personnellement. Car elle m'affecte à n'en pas douter.

San Telmo, plaques en hommage aux disparus
Franchement, j'ai l'impression d'être un extraterrestre. A chaque fois que j'ai abordé le sujet, j'ai eu droit de la part de mes interlocuteurs à des regards d'incompréhension, voire même à une certaine forme d'agressivité lorsque ceux-ci me reprenaient en insistant pour que j'emploie des termes plus appropriés, comme parallèle, informel, libre ou Dollar Bleu, plutôt que de parler de marché noir. Bien sûr, le fait d'être dans un Yacht Club plutôt cossu n'y est pas étranger... Mais pour moi, leur insistance à vouloir utiliser ces éléments de langage n'est en fait qu'un déni de réalité, une façon de faire taire leur mauvaise conscience.
De même, depuis mon arrivée je côtoie pas mal de commerçants et d'entrepreneurs qui font du business autour du nautisme, et la plupart d'entre eux sollicitent de ma part un paiement en Dollar cash, moyennant bien sûr une ristourne conséquente qui peut aller jusqu'à 30%... Difficile pour la plupart de résister, j'en convient. Et je vous avoue que moi même, au début, j'ai été tenté d'utiliser mon petit pécule en euros que je cache dans mon bateau pour payer les travaux ... Mais non. Je ne l'ai pas fait et je ne le ferais pas. Et c'est un choix politique autant qu'éthique. Le genre de choix qui fait de moi plus un voyageur qu'un touriste.

Les Malouines, une épine dans le pied des argentins

mardi 2 avril 2013

Deux ans !

34°26.602S 58°31.795W
Buenos Aires, Argentine

- Dis-donc Gwendal, tu n'aurais pas oublié quelque chose ?
- Mmmm ? Quoi ? On est quel jour aujourd'hui ?
- J'en sais rien, lundi je crois. Et puis qu'est-ce que tu veux que ça me foute ?
- Eh oh ! Tu vas parler meilleurs à ta conscience d'abord ! Je te signale que nous sommes le 1er avril, c'est à dire le lendemain du 31 mars, et qu'hier cela faisait deux ans, jour pour jour, que tu es partis !
-  Ah merdeuuuuu... J'ai oublié. Ben oui... Bon, tu crois que je peux rattraper le coup en quelques lignes, vite fait posées sur le blog ? Genre : Tout va bien, je suis super-content, la vie est belle, tout ça ?
- Ben, tu peux toujours essayer. Mais ça serait peut-être bien que tu fasses comme une espèce de bilan de ces deux années aussi...
- Whalou ! J'ai dis l'année dernière que les bilans c'était pour les gens qui avaient des comptes à rendre, et je n'ai pas changé d'avis ! Tu ne voudrais pas non-plus, pendant que tu y es, que je publie une carte, que je leur dise que j'ai parcouru 8205 milles, séjourné dans six pays, que j'ai adopté une chatte et une américaine, que je remercie mes lecteurs pour leurs soutien, que je leur dise que j'ai pas l'intention de m'arrêter... Et puis quoi encore !
- Pffff... Que tu es soupe au lait ce matin ! Allez mon Gwendal, fais un effort...
- Nan, j'veux pas !
- Sois pas comme ça... Tu ne crois pas que tes lecteurs seraient intéressés de savoir ce que ça te fais d'être sur les mers depuis deux ans ? Tu sais que tu en as inspiré quelques uns depuis ton départ ? Et puis question publication, on ne peut pas dire que tu sois très prolifique en ce moment...
- J'ai pas l'temps ! Il faut que je m'occupe de La Boiteuse ! Y'a la Grand-voile à faire fabriquer, le lazzy-bag et le nouveau taud. Faut aussi que je répare une barre de flèche, les haubans, que je sorte le bateau de l'eau pour gratter la coque et la repeindre. Faut que j'achète une nouvelle annexe (non, ça c'est déjà fait), que je change les anodes, que je répare les cabestans du mât, que je change le feu de mouillage. Il faut que j'achète un nouveau sondeur, que je change le frigo, que je répare le liston de la proue, que je remplace l'ancre perdu au Brésil, que je refasse le grip du pont… Comment veux-tu que je trouve le temps d'écrire avec tout ça ?
- Ok, mais bon, je te signale que tu n'es pas tout seul pour faire ça... Et qu'est-ce que tu comptes faire aujourd'hui ?
- Ben rien. C'est le lundi de Pâques et en plus, il pleut. Et puis j'aimerais bien terminer de regarder la saison un de Game of Thrones...
- Gwendal, tu es un paresseux et un je-m’en-foutiste.
- Ouais, je sais. Et alors ? C'est grave ?
 - Non, heureusement pour toi. 


Plaza de Mayo
La croisée des chemins
Deux raisons de préférer être Argentin !
Adieu Miss B...
Et bienvenue à Miss BB !!
Un, deux, trois...