lundi 27 octobre 2014

De Santo André à Itaparica

12°53.377S 38°41.045W

Itaparica, Bahia


Le mercredi 22 octobre 2014 – Coup de vent

13H00 : Je suis assis dans le cockpit de La Boiteuse et je ronge mon frein en attendant la marée... A priori le bateau est prêt depuis un moment déjà, mais pour m'éviter les déboires de mon arrivée je dois attendre l'étale de marée haute afin de quitter le rio en toute sécurité. Comme d'habitude avant un départ j'ai l'estomac noué, mais j'ai quand même réussi à avaler un petit sandwich, et je sirote un café en observant la rive. Encore deux heures à attendre...

Le vent est au sud comme prévu, avec son cortège de nuages bas, gris et lourds. Quelques gouttes de pluie tombent de temps en temps.


13H15 : Tien, c'est bizarre... La Boiteuse vient de se mettre en travers du courant ce qui indique que la renverse commence avec une heure et demi d'avance. Je regarde le plan incliné à côté du restaurant, et je vois que l'eau a commencé à le recouvrir... Ça ne montera pas plus haut, alors on y va !

Je hisse les 25m de chaîne à la force de mes petits bras musclés et vroum on est parti ! Je m'applique à suivre les instructions que les pêcheurs m'ont données en piquant droit sur le récif. Puis, à seulement quelques mètres je vire afin de le longer au plus près. J'ai les yeux rivés sur le sondeur : 4m, 3,60m... 5m ! C'est bon on est passé ! Ouf ! Je peux recommencer à respirer !

14H00 : Cap au 90°, plein est, afin de déborder les récifs qui minent l'endroit jusqu'à trois milles des côtes. La mer est calme et le vent du sud-sud-ouest plutôt faiblard. Je hisse la grand voile avec un ris, déroule le foc en grand et j'arrête le moteur.


14H15 : Heu... Ça se lève sérieux là...


14H45 : Petite demi-heure légèrement flippante. Le vent a déboulé comme un malade, et je me suis fait cueillir avec un peu trop de toile. J'ai dû prendre le deuxième ris en urgence avec des rafales à 25 nœuds et une mer qui soudainement est devenue blanche. Je suis trempé et le bateau gîte terriblement. Vivement que je m'écarte pour pouvoir abattre un peu... Mais pour l'instant j'ai encore des récifs à parer, alors il faut que je serre les dents.

15H25 : Ça a l'air de se calmer un peu. J'ai pu abattre et nous voilà cap au 45°, 5,5 nœuds de vitesse avec deux ris dans la GV et même pas ¼ de foc. La pluie est de la partie. Une espèce de crachin breton mais néanmoins persistant.


16H00 : J'ai un putain de mal de mer...
Sale gueule

20H25 : Ça va un peu mieux. Je suis resté couché au fond du cockpit à attendre que ça passe. Le vent qui s'était un peu calmé a redoublé dans les minutes qui ont suivi et il s'est mis à tomber des seaux d'eau. Tout est trempé... Désolé si je ne suis pas très bavard, mais le fait d'écrire me file la nausée. D'ailleurs, tant qu'à faire vous m'excuserez aussi pour le petit nombre de photos qui va illustrer cet article. Pendant toute la traversée je n'ai eu ni le cœur ni l'estomac à ça.

C'est quoi cette lumière droit devant ? Fait chier, on dirait qu'il n'y a pas que moi qui sois assez taré pour sortir un jour pareil ! La mer est grosse maintenant et j'entends les vagues qui déferlent à grand fracas dans le noir. Mais qu'est-ce qui m'a pris de partir aujourd'hui bordel !


Le jeudi 23 octobre 2014 – Je récupère

06H30 : La nuit a été très difficile. Une fois passé la lumière que j'avais repéré, c'était un pêcheur en train de remonter ses filets, je me suis recouché et j'ai essayé de dormir. Toute la nuit ça a été mal de mer, pluie, vagues de cinq mètres et vent à décorner les bœufs. La totale quoi. Et maintenant c'est pire puisque c'est mal de mer, pluie, vagues de trois mètres et pas de vent ! La Boiteuse n'avance plus et se fait ballotter dans tous les sens et mon estomac aussi.

Tout à l'heure, en montant sur le pont pour démêler la contre écoute, j'ai trouvé un petit poisson volant. C'est le premier depuis... deux ans au moins ! Touline s'est jetée dessus comme la vérole sur le bas clergé. Moi je n'ai rien avalé depuis hier midi.

Allez, je crois que je vais allumer Mercedes...

Séchage
10H25 : Nous sommes toujours au moteur sous un soleil plus que bienvenu. Mes affaires sèchent sur les bancs et moi j'essaye de ne pas bouger en fixant la ligne d'horizon afin de me débarrasser de ce mal de mer qui persiste. Pas un chat sur l'eau. La mer se calme peu à peu.

Étant donné que cette navigation est tout sauf plaisante, j'ai pensé un moment l'écourter et faire escale à Camamu. Il faut que vous sachiez que selon les guides nautiques il y a deux incontournables au Brésil : Ilha Grande (ça c'est fait) et Camamu. Dans le genre dédales de petites îles tranquilles dans une baie paradisiaque Camamu est un spot quasi obligatoire pour les voiliers de voyage. Hélas, étant donné notre timing je ne pourrais y arriver qu'au milieu de la nuit. Et m'aventurer de nuit dans ce labyrinthe d’îlots et de bras de rivière à la profondeur douteuse ne serait pas raisonnable. En plus je ne connais pas les horaires de marée. Donc, on va continuer jusqu'à Itaparica. On devrait y être demain à la mi-journée, surtout si on doit continuer au moteur...


La nouvelle barre et l'ancienne
11H15 : Je regarde ma nouvelle barre, et je trouve qu'elle est belle. Car oui, pendant que j'étais à Santo André j'ai fait la connaissance d'un menuisier, Jarbas, et l'idée m'est venue de lui confier la fabrication d'une barre pour remplacer l'ancienne qui commençait à se fendre par le milieu. Et franchement le résultat est au delà de mes espérances. Elle est en lambi un bois local dur, dense et naturellement hydrofuge. Franchement, j'ai eu une bonne idée de la faire fabriquer...

13H30 : Bravo Gwendal ! J'ai réussi enfin à avaler quelque chose. Je me suis fait quelques tartines de pain beurrées avec un café. Le petit-dèj de la mi-journée ! J'espère que je vais pouvoir le garder... remarquez je dis ça, mais même si je suis malade à en crever, je ne vomis jamais. Il faut dire que j'ai souvent l'estomac vide quand ça m'arrive.

15H00 : Vous voulez que je vous dise pourquoi je suis content d'aller à Itaparica ? Et bien parce que là-bas j'ai de grandes chances de pouvoir m'amarrer dans une vraie marina et rencontrer mes congénères voyageurs. Ça me manque la vie de ponton si vous saviez... Parce que mine de rien cela fait presque cinq mois que La Boiteuse est en autonomie complète, et moi aussi par conséquent. Sans parler de Touline. Et ce n'est pas parce que j'ai arrêté de vous dire combien je hais les mouillages, que j'ai finalement appris à les apprécier avec le temps ! Loin s'en faut !

15H40 : Il s'est passé un truc bizarre ce matin, mais j'étais encore un peu trop patraque pour vous en parler. Alors que j'étais endormi au fond de mon cockpit, Touline m'a sauté dessus à pattes jointes pour ensuite, immédiatement, rejoindre sa place habituelle sous la capote. Je me suis bien sûr réveillé en sursaut, puis presque automatiquement je me suis levé pour faire un tour d'horizon. Rien, pas un péquin comme depuis ce matin. Je regarde la chatte et je lui demande ce qui lui a pris. Elle n'a apparemment ni faim ni soif, pas plus qu'envie de jouer puisqu'elle a rejoint sa place et semble vouloir se rendormir...

Tu sais que tu es casse-couil... Mon regard tombe alors sur le compas, et je constate qu'on a dévié de 30° par rapport au cap. Et un autre coup d’œil me permet de voir que le pilote automatique est arrêté !

Je remet en route, avec le bon cap, puis je m’interroge. Croyez-vous qu'elle m'a réveillé parce qu'elle a sentie qu'on déviait de notre route ? C'est vrai que le balancement du bateau a changé puisqu'on a changé d'angle par rapport à la houle, et comme je dormais profondément je ne m'en suis pas rendu compte... Mais quand même, j'ai un peu de peine à y croire. Je savais déjà pouvoir compter sur Touline pour me prévenir de l'approche d'un bateau, d'une bande de dauphins, ou lorsqu'un poisson a mordu à la ligne de traîne. Mais là quand même... Je suis perplexe.

Jarbas le menuisier

16H15 : Bon, j'aimerais bien que la brise revienne siouplait ! Parce que sinon je vais devoir refaire le plein de gas-oil ! Nous en sommes à presque dix heures de moteur maintenant.


17H45 : La nuit tombe. J'ai rajouté deux fois 10 litres de GO dans le réservoir principal.

18H00 : Je décide, après moult essais et tergiversations, de continuer au moteur. Tant pis pour le carburant, mais j'ai vraiment envie d'arriver demain avant la nuit. Donc, j'ai pas le choix je dois maintenir une vitesse d'au moins 4,5 nœuds. Heureusement, Mercedes tourne comme une horloge.

Le vendredi 24 octobre 2014 - Bahia de Todos os Santos

04H50 : Très belle nuit si on la compare à la précédente. Le vent, il y en a un tout petit peu, a tourné au sud-ouest et j'ai dû tirer deux bords afin de garder les voiles en appui du moteur. On devrait arriver vers 14H00, c'est cool !

05H00 : Je pense qu'en arrivant je vais d'abord mouiller à l'extérieur de la marina. Puis dans un second temps j'irais tâter le terrain afin de voir : Petit un, le prix. Petit deux, dans quelle mesure ils sont prêt à accueillir un clandestin dans mon genre.

Donc ma Touline, je ne te promets rien si ce n'est de faire mon possible pour que tu puisses te dégourdir les pattes ! Et si vraiment ce n'est pas possible, il ne faudra pas m'en vouloir d'accord ?


06H00 : Point du matin. Il reste trente milles avant d'entrer dans la baie de Todos os Santos. Le vent est au sud-ouest et fait cravacher La Boiteuse. J'ai presque envie d'arrêter le moteur... Allez, encore deux petites heures et ensuite on voit.

06H20 : Terre en vue ! J’aperçois les buildings de Salvador.


06H30 : Mercedes fonctionne parfaitement depuis vingt-quatre heures. Brave fille !


07H15 : La ville de Salvador est bien visible maintenant. J'aperçois toute une série de hauts immeubles perchés sur une colline toute en longueur. Dans mon souvenir je ne crois pas qu'il y en avait autant... Car je suis déjà venu à Salvador, c'était il y a 26 ans. Il faudra que je vous raconte cette histoire un jour. A moins que cela ait déjà été fait... Je ne sais plus. Vous me direz.

Bref, Salvador de loin, c'est grand.


07H40 : C'est rigolo, mais je n'ai plus besoin de regarder la carte sur mon ordinateur pour savoir combien de milles il me reste à faire. En effet, comme j'avance plein nord il me suffit de voir défiler les chiffres de la latitude sur le GPS. 13°16', pour aller à 12°55' ça fait 21 milles (Un mille marin = Une minute d'angle sur un méridien, tout le monde sait ça !)

07H55 : Merde, j'ai cassé le tuyau de ma pipe. Heureusement j'en ai une ou deux en back-up. Même si la plus potable est rafistolée avec des bouts de scotch, elle fera l'affaire.


08H15 : J'ai rajouté 20 litres de gazoualle. Avec ça je suis tranquille jusqu'à ce soir, au cas où. Pendant que je faisais ça, j'ai pu assister à l'envol de toute une troupe de poissons volants.


09H00 : C'est incroyable comment les dernières heures peuvent être les plus longues. J'observe la côte qui se fait de plus en plus précise, et je me perds dans mes rêveries. Et puis je regarde ma montre pour me rendre compte qu'il n'est que cinq minutes de plus que la dernière fois ou je l'ai regardée...

Au fait. Loin de moi l'idée de vous inquiéter, je le dis juste pour ceux qui voudraient un jour naviguer dans ces eaux, mais selon radio-ponton, toutes nationalités confondues, Salvador est de loin la ville la plus dangereuse au Brésil pour les voyageurs en bateau. Je ne vous dis pas la réputation de merde. Tous ceux que j'ai croisé m'ont raconté des tas d'histoires, vols de toutes sortes, avec ou sans agression, avec ou sans arme, avec ou sans blessure, avec ou sans mort... Bref, c'est pour ça que je préfère me rendre sur l'île en face, Itaparica, car je compte bien ne pas vérifier si cette appréciation est vraie.

Rien que de savoir que je vais peut-être devoir fermer le bateau quand je m'en vais, ça me gonfle... D'ailleurs, où est-ce que j'ai rangé les clefs ? La dernière fois que je m'en suis servi c'était il y a trois ans à Agadir... Et encore c'est parce que je partais quatre jours et qu'Alex et Xavier gardaient Touline !

Salvador do Bahia

Onze heures pile : Je double la cardinal est qui marque l'entrée de la baie de Tous les Seins. Sur ma droite se déroule Salvador, gigantesque tas de briques et de ciment. Sur ma gauche l'île d'Itaparica, avec ses airs de petite côte d'Azur... Il ne reste qu'une douzaine de milles et on y est !


11H15 : La couleur de l'eau a changée. En quelques milles nous sommes passé d'un bleu profond et sombre à un bleu ciel et laiteux. C'est parce qu'en quelques milles nous sommes passé de 1600 m de fond à 25 m ! D’ailleurs cette remontée subite soulève une houle cassante et désagréable. Heureusement, on l'a dans le cul. La baie de Salvador do Bahia est splendide.

12H40 : Je vois toute une bande de petits dauphins qui chassent. Ils m'ont l'air bien plus intéressés par le filet que vient de poser un pêcheur que par la quille de La Boiteuse.


13H00 : J'aperçois la marina et les bateaux mouillés à l'extérieur. J'essaye de faire le lien entre ce que je vois et les différents plans et cartes dont je dispose. C'est pas évident. C'est plein de marques, de cardinales, de piliers plus ou moins significatifs... Tout en surveillant le sondeur, je m'approche et un type m’interpelle sur le ponton flottant en me proposant de prendre mes amarres. Pourquoi pas ? Sauf que je n'ai rien préparé puisque je pensais mouiller à l'extérieur !

Je fais un tour d'honneur, histoire de sortir les aussières et de les installer à l'avant et à l'arrière, puis je me représente pour aborder. Le type me fait alors de grands gestes pour me dire que j'ai oublié de mettre les pare-battages ! Con de moi ! Ça fait cinq mois que je n'y touche plus à ces trucs-là ! Je refais un tour, et enfin je me pose comme une fleur le long du ponton.

C'est pas trop tôt !
Quelques minutes plus tard le marinheiro me dirige vers les bureaux pour rencontrer le responsable, et je commence à lui faire mon show. Je suis fatigué, ça fait cinq mois que mon bateau n'a pas connu les services d'une vraie marina, mais j'ai quelques soucis avec mes papiers... Bref, je lui fais mon numéro de Caliméro tout en jouant carte sur table. Le gérant a l'air compréhensif. Et il me répond qu'il n'y a pas de problème du moment que j'ai les papiers d'entrée dans le pays. Parfait !


C'est le lendemain que les choses se sont gâtées. D'abord Touline est tombé à l'eau pour la quarante-et-unième fois. Un petit bain matinal comme pour renouer avec les bonnes habitudes ou bien faire son intéressante auprès des voisins qui se sont bien sûr tous entichés de cette pauvre petite gatinha  ! Cabotine va ! T'es bien comme ton père !

Ensuite, le gérant de la marina ne sachant pas vraiment comment gérer ma situation m'a un peu fait flipper pendant quelques heures. Mais au final nous sommes tombé sur un accord. Il ne me balancera pas et me laissera utiliser la marina, et si une autorité quelconque vient à débarquer il dira que je suis arrivé la veille. Mais j'ai bien conscience que le coin n'est pas très sain pour moi... Les autorités bahianaises sont probablement les plus chiantes du Brésil car elles ont compris les premières qu'il y a pas mal de fric à se faire en saisissant les bateaux étrangers en délicatesse avec l'immigration. C'est même carrément un bizness par ici avec son lot de corruption. Donc, on ne va pas s'attarder même si le lieu est relativement tentant.

Alors oui, je sais que je dis toujours ça et qu'au final j'ai tendance à m'incruster à chaque fois dans le paysage, mais là la situation est différente. C'est de mon bateau qu'il s'agit. De ma maison, de ma vie. Et je n'ai franchement pas envie de jouer avec.


Ben quoi ?
Allez, pour finir je vous dirais qu'après un weekend passé ici mes vœux ont été comblés ! J'ai retrouvé toute une bande de marins voyageurs plus ou moins en escale prolongée, dont quelques français et des argentins que j'avais croisé auparavant. Depuis mon arrivé ce ne sont que discussions animées dans les cockpits, échanges et partages... Je suis ravi !
Quant à Touline, je lui pardonne la frayeur qu'elle m'a faite de disparaître pendant vingt-quatre heures, tant elle semble heureuse de pouvoir de nouveau batifoler sur les pontons et de s'inviter sans permission dans les voiliers voisins ! Elle aussi semble ravie !

Enfin libre de faire des conneries !
petit matin à Itaparica
La Boiteuse se repose, et moi aussi

jeudi 16 octobre 2014

Santo André

16°15.083S 39°00.885W
Santo André, Bahia

Au loin, la barrière de récif
La semaine dernière, lorsque j'ai pris la décision de ne pas partir, j'ai ressenti comme d'habitude un mélange de soulagement et de culpabilité. Soulagement parce que la perspective de deux jours de navigation après un tel coup de vent ne me disait vraiment rien en terme d'effort à fournir, mais aussi de culpabilité car je ne suis qu'un con à l'éducation judéo-chrétienne très marquée. Ben oui, je suis comme ça moi ; je peux être à la fois heureux de m'accorder quelques jours de plus à profiter de la vie, mais en même temps me sentir coupable parce que justement je me l'accorde...
Alors je sais, vous allez me dire que je suis un grand couillon et qu'après toutes ces années de voyage je puisse encore me trimbaler avec ces carcans culturels à la con relève de la pathologie... Peut-être. La vérité c'est que je travaille assidûment à m'en débarrasser, croyez moi, mais que pour l'instant je n'y arrive pas ! Je suppose qu'il va me falloir encore quelques années avant d'arriver à m'affranchir de tout ça... Si j'y arrive un jour.

Mais bon, je digresse. Ce que je voulais vous dire c'est qu'une semaine après cette décision et les sentiments paradoxaux qu'elle a suscité, je n'ai pas eu à regretter mon choix. Bien au contraire. C'est bien simple, de toutes les escales que j'ai pu faire au Brésil, celle-ci figurera sans doute dans les trois meilleures de ma liste (Après Jacaré, qui restera je crois le top du top-de-chez-top, et Ilha Grande). Il ne s'agit que d'une appréciation personnelle bien sûr, et j'ai bien conscience que mes besoins et mes goûts particuliers ne sont pas ceux des autres. Cela dit, si comme moi vous appréciez la tranquillité et la glandouille, et que vous n'avez rien à foutre des grandes villes, des musées et des sites touristiques, viendez à Santo André ! En plus, question sécurité, vous ne risquez rien. Ici tout le monde se connaît, et une fois que vous avez papoté avec une ou deux personnes, tout le village saura qui vous êtes et vous foutra la paix.
Bon d'accord, l'entrée est un peu scabreuse et les voiliers avec un faible tirant d'eau seront plus à l'aise pour découvrir ce petit paradis. De même par fort vent de sud le mouillage peut devenir inconfortable. Mais franchement si il y a parmi vous des velejadores qui projettent une descente des côtes brésiliennes, c'est un spot qu'il serait dommage de manquer.

Santa Cruz Cabralia
Ici pas de ponts, des bacs
J'ai eu la chance, alors que je me rendais à la ville d'à-côté, Santa Cruz Cabralia, d'être pris en stop par Alain, retraité suisse vivant à Santo André depuis quatorze années. Grâce à lui, j'ai pu être présenté à quelques habitants et ainsi découvrir d'autres facettes du village qui jusqu'alors m'avaient échappé. J'ai appris également que Santo André avait été pendant la coupe du monde de futbol, la résidence de l'équipe d’Allemagne. Ce qui explique les drapeaux teutons qui subsistent encore un peu partout. J'ai également pu assister à une discussion politique homérique entre deux clients dans un bar, et je peux vous dire que le second tour des élections présidentielles, qui aura lieu ce dimanche, suscite de vifs débats. A Santo André, presque tout le monde vote PT (Partido dos Trabalhadores), mais Dilma Rousseff, l'actuelle présidente en passe d'être réélue, est jugée un peu trop « molle » dans sa lutte contre la corruption (voire même corrompue elle-même). Partout j'ai entendu la même chose, ils veulent que Lula revienne et fasse le ménage.

Il n'y a pas vraiment de circulation !

Un jour sur deux, je m'accorde le plaisir de ne pas cuisiner, et je me rends dans une petite gargote très sympa pour y déguster un prato feito fait maison. La vieille Maria me prépare au choix, du bœuf, du poulet ou du poisson, accompagné du trio traditionnel riz-feijon-farofa. Le tout pour 13$R (4 Euros). Vu que le mouillage ne me coûte rien, ce serait vraiment bête de s'en priver. En plus sa petite-fille est charmante, ce qui ne gâte rien.
Et puisque je suis coincé, j'en ai aussi profité pour prendre contact avec le menuisier du coin et lui demander de me fabriquer une nouvelle barre franche, l'ancienne commençant à se fendre par le milieu. Je devrais la récupérer en début de semaine prochaine...

Des envies de pied-à-terre ?

Bref, l'endroit me sied. C'est dans un endroit comme celui-ci que j'aimerais un jour poser mon sac... Je me suis même surpris plusieurs fois à regarder une maison à vendre ou à louer, et à m'imaginer ce que je pourrais en faire ! J'imaginais un jardin potager par-ci, un poulailler par-là. Quelques sièges en rotin sous un auvent avec un éclairage sympa pour les chaudes soirées d'été. Une grande table avec des bancs... Mais bon, j'évite pour l'instant de me laisser aller à de telles pensées. Je n'ai définitivement pas envie de m'installer au Brésil, aussi je garde ce genre de rêverie pour plus tard. La Colombie peut-être ?

Bien, je vais vous laisser là-dessus. Je voulais juste vous dire que je suis bien et aussi faire un peu de pub pour Santo André. Je le répète, c'est un endroit qu'il serait dommage de manquer et qui vaut tous les pains de sucre du monde !

 
Un pote brésilien
 
La Boiteuse au mouillage
Mon bureau

lundi 6 octobre 2014

Les caprices d'un fleuve

16°15.083S 39°00.885W
Santo André, Bahia

Petit matin calme
Pour moi, le fleuve, peut-être plus que l'océan lui-même parce qu'il en est le précurseur, est une source constante d’intérêt. De surprise aussi. Chaque fois que je reviens sur ses rives après une balade de quelques heures, il est différent. Il a changé. Plus haut, plus bas. Plus rapide, plus lent. Coulant dans un sens, puis dans l'autre... Son rythme lunaire, prévisible certes mais cependant irrégulier fait qu'il peut revêtir une multitude d'aspects, de combinaisons différentes. Ma préférée, c'est l'étale de marée haute au petit matin...



Mais à l'image de l'océan, le fleuve sait lui aussi passer de l'état le plus pacifique à celui de torrent bouillonnant... Il lui suffit pour cela de pas grand chose.

Une perturbation venant du sud arrivait. Je le savais. Les prévisions annonçaient une bascule du nord vers le sud, vers 06H00 du matin, ce vendredi. Des vents entre 20 et 30 nœuds... Sans doute plus. Le genre de truc pas agréable du tout, que l'on soit en mer ou à l'ancre. J'avais même déjà prévu quelles seraient les mesures à prendre pour m'en protéger. Virer tout ce qui pourrait traîner sur pont, ranger le cockpit, et surtout aller jeter un deuxième mouillage au vent, c'est à dire dans la direction supposée du vent à venir. J'avais prévu de faire ça en rentrant à bord en début de soirée, afin d'être paré au matin.

Oui mais voilà, je me suis fait surprendre. La veille donc, j'étais attablé dans un restaurant à l'autre bout du village. Je surfais sur le net, tout en mangeant des croquettes de poisson trop sèches, lorsque les branches des arbres se sont mises à bruire, puis à s'agiter carrément. Le cocotier, lorsque le vent l'agite pour de bon, ça fait un boucan d'enfer je peux vous le dire. Le temps que j'arrive à mon annexe, il devait être 21H00 et le vent soufflait déjà en rafales à décorner les bœufs. Le fleuve qui d'ordinaire est à peine agité de quelques vaguelettes était à présent déchaîné. On aurait dit un torrent de montagne.

Je scrute la pénombre à la recherche de ma Boiteuse pour l'apercevoir enfin, après d'interminables secondes, tout au bord de mon champ de vision. Je saute dans l'annexe, et alors que je donnais du gaz pour rejoindre mon bord au plus vite, je me rends compte que l'arrière de mon bateau est à peine à deux petits mètres d'un ponton flottant qui s'agite comme un forcené sous l'assaut des vagues. Tout de suite j'imagine le pire. L'arrière de La Boiteuse est allé se fracasser sur le ponton, le régulateur est foutu, je vais m'échouer à la prochaine marée basse... Pire, Touline en voyant la rive si proche a sauté, s'est loupée et est tombée à l'eau. Ou alors elle a réussi son coup et ça va être galère pour la récupérer, si elle ne se fait pas bouffer par le rottweiler qui garde la propriété dudit ponton.
C'est dingue ce qui peut vous passer par la tête en un laps de temps somme toute assez restreint. Car en quelques secondes j'avais rejoins mon bateau et constaté qu'il n'en était rien de tout ça.

Dans sa folle dérive La Boiteuse s'était arrêté à quelques mètres du ponton, mais sans le toucher. La chance avait même voulu que l'endroit où elle se trouvait à présent était même suffisamment profond pour parer à la baisse du niveau de l'eau. Et, last but not least, Touline était toujours à bord !
Dans l'immédiat j'étais rassuré, mais il ne fallait pas que je m'endorme pour autant. Ce n'est pas parce que mon bateau n'avait pas percuté le ponton, qu'il n'allait pas le faire dans un futur proche. D'autant que les prévisions météo laissaient entendre que ceci n'était que le début des festivités. Je me suis donc bougé le cul pour aller jeter mon ancre de secours au vent, puis j'ai alternativement tiré à la main sur les deux ancres afin de gagner quelques mètres et m'écarter du danger.
Ceci fait, j'ai pu enfin me réfugier dans mon carré, trempé de la tête au pied et passablement stressé, et je me suis installé pour regarder le dernier X-men...

Là, vous allez me dire que je suis un inconscient, qu'au lieu de me plonger dans les aventures de Wolwerine voyageant dans le temps jusqu'au années 70, je ferais mieux de veiller sur mon pont, prêt à tout pour protéger mon bateau. Ou encore que je suis super-couillu comme mec, et que les éléments déchaînés ne me font ni chaud ni froid...
Ni l'un ni l'autre, j'ai envie de dire. J'avais fait tout ce qu'il y avait à faire compte tenu des circonstances, maintenant il ne me restait plus qu'à attendre en évitant de me poser trop de questions afin de ne pas devenir dingue. Une fois le film fini, je me suis allongé tout habillé dans le carré et j'ai essayé de dormir. Mais ce fut difficile. Le vent mugissait dans les haubans, La Boiteuse faisait du rodéo, et j'entendais la chaîne se tendre avec violence à travers la paroi de la coque... Je n'ai pu finalement m'endormir que vers deux heures du matin, pour me réveiller trois heures plus tard avec le soleil.

Le vendredi au matin, la situation n'avait pas vraiment changée. Enfin si, peut-être, si l'on considère que la lumière du jour éclairant le fleuve, le rendait plus impressionnant encore, et que le vent soufflait encore plus fort que la veille au soir. Mon mouillage ne bougeait pas d'un poil, mais cela ne m'empêchait pas de stresser comme un malade. Comme à la mer, j'étais attentif à tout. Le moindre bruit bizarre, le moindre balancement incongru du bateau, la moindre rafale un peut plus forte, me faisait lever les yeux et serrer les fesses. Je sortais alors dans le cockpit pour évaluer la distance entre moi et ce ponton de merde. S'ensuivait alors de longues minutes où je me demandais si mes yeux étaient fiables, si ma foutue inaptitude à évaluer les distances aussi bien horizontales que verticales ne me jouait pas des tours, et si finalement on ne s’était pas rapproché... Et si, et si...



Dans la journée, par deux fois je suis descendu à terre le temps nécessaire pour recharger la batterie de mon ordinateur et me connecter rapidement à internet afin de suivre l'évolution de la météo. Mais d'être à terre me rendait encore plus nerveux... J'avais l'impression d'abandonner mon poste, et même si de la terrasse du restaurant je ne quittais pas des yeux ma chère Boiteuse, je me sentais mal de la laisser seule. Ne vous trompez pas : Il ne s'agissait pas là d'un quelconque ressentiment affectif (quoique...) envers ma coque de noix, mais plutôt une question de devoir. Mon rôle à moi était de protéger mon bien, ma maison, et à terre j'étais encore moins à même de le remplir. Je crois qu'à cet instant, j'ai enfin compris pourquoi les Capitaines coulaient avec leur navire.
C'est pourquoi, une fois ma batterie pleine je ne perdais pas de temps pour regagner mon bord. Je rentrais trempé jusqu'aux os. Je m'asseyais dans mon cockpit, et j'attendais que ça passe... Quoiqu'il arrive, j'étais à mon poste.

En fin de soirée, vers 22H30, et après une ultime bourrasque à 25 nœuds, le vent s'est enfin calmé. La Boiteuse s'est alignée dans le sens du courant de la marée montante, et j'ai pu décompresser et surtout dormi un peu. Ce n'était pas tout à fait terminé, mais le plus dur était derrière nous.

Après une nuit relativement calme, si on la compare aux vingt-quatre heures précédentes, la journée du samedi vit le vent reprendre de plus belle. Oh, pas comme la veille où les haubans vibraient sans discontinuer, mais plutôt par à-coups, sous forme de grains pluvieux et violents. C'est pendant l'un de ces grains, alors que je finissais de lire Men Glaz de Jean Lemasson, qu'un grand bruit me fit lever les yeux. C'était un petit bateau de pêche, une barque plutôt avec une cabine grande comme un chiotte, qui venait de s'encastrer dans le ponton flottant ! Celle-ci venait de rompre ses amarres, avait dévaler le fleuve sous la force du vent et du courant et venait de frôler la proue de La Boiteuse avant que de se retrouver immobilisée à quelques mètres de moi. Je suis resté stupéfait quelques secondes avant que de bondir dans mon annexe. Franchement, je ne savais pas quoi faire, mais il fallait que je fasse quelque chose !
Mais le temps de démarrer le moteur, tout larguer et rejoindre la barque en perdition, une autre barque s'avançait déjà et choppait l'évadée au passage. Compte tenu des conditions, la manœuvre était splendide. Lorsque le pêcheur est repassé près de moi, il m'a regardé. Peut-être l'ai-je imaginé, mais il y avait dans son regard tout un discours... On y pouvait lire à la fois, le remerciement pour ma réaction inutile et quelques bons vœux pour les heures à venir, et aussi une espèce de connivence. Nous étions tous deux gens de mer, nous traversions la même épreuve, cela suffisait à nous lier par delà les mots et les différences. Il m'a salué de la main, j'ai fait de même...

Un petit dessin pour mieux comprendre

Ce n'est seulement qu'en toute fin de soirée que les choses ont repris leur cours normal. La brise soufflait toujours du sud, toujours froide, mais ne soulevait plus de vague. Le courant et la marée avaient repris leurs droits, et La Boiteuse s'était remise à suivre le mouvement. J'ai cependant gardé mon mouillage de secours à poste au cas ou... A ce propos, il n'est pas dans mes habitudes de donner des conseils de marin, car je me considère toujours comme un débutant en la matière, mais peut-être celui-ci pourra servir à celles et ceux qui me lisent et projettent un jour de prendre le large.
Le mouillage de secours est essentiel en croisière, voire vital. Il faut qu'il puisse être mis en œuvre rapidement et pour cela il faut qu'il soit solide et surtout maniable. Pour ma part j'utilise une ancre plate à jas de dix kilos, type Danforth, à laquelle j'ai fixé cinq mètres de chaîne de 8 mm, puis 20 m de câblot textile de 14 mm. Je rajoute au besoin d'autres longueurs de câblot de même diamètre en fonction de la profondeur. Pour les six tonnes de La Boiteuse, c'est largement suffisant et le mien ne m'a jusqu'à présent jamais fait défaut.

J'ai dit plus haut qu'il n'était pas dans mes habitudes de donner des conseils, mais je me rends compte que finalement, si je vous raconte cette histoire (que j'aurais pu facilement résumer en un « Putain, ce mouillage est vraiment à chier par vent de sud ») c'est peut-être aussi parce que je me sens responsable quelque part des vocations que je pourrais susciter. Tout récemment encore, j'ai reçu un magnifique courrier d'un lecteur qui me disait sa joie de me lire et l'envie que ces lignes avaient ravivées chez lui... (J'en suis encore tout ému). Bon, dans ce cas précis la personne était expérimentée et ne se jetait pas dans l'aventure à l'aveuglette. Mais je sais qu'il en est d'autres qui souhaiteraient partir sans réelle expérience et apprendre sur le tas comme j'ai pu le faire.
A ceux-là je dis, certes les moments agréables sont nombreux, et heureusement. Mais il en est d'autres beaucoup moins. Vous le savez sans doute, je ne suis pas de ceux qui disent que le bonheur a un prix, que tout se paye dans la vie. Que chaque once de moments heureux doit avoir son contrepoids en souffrance et en malheurs. Je hais cette façon de voir la vie car elle présuppose une instance qui serait chargée de peser chaque événement et d'assurer un équilibre entre le bien et le mal... Non, celui qui pèse c'est moi.
Le jour où les problèmes que je rencontre dépasseront en intensité les joies et le confort intellectuel que m'apporte cette vie, j'en changerais un point c'est tout. Et pour l'instant on est loin du compte.
Cependant, je trouve honnête de ma part de vous rappeler que si vous voulez jouer avec la mer, il faut accepter en toute connaissance de cause, de pouvoir y perdre au mieux tout son argent, et au pire sa vie... La mer c'est dangereux. Et la vie en bateau c'est compliqué.

Voilà, ceci dit il faut quand même que je vous dise que ça vaut le coup. Oh putain oui ça vaut le coup !

Le fameux ponton

Bon, revenons à nos moutons et terminons cette histoire si vous le voulez bien. Ces quarante-huit heures sur le fil du rasoir m'ont laissées sur le carreau. Toutes ces heures à veiller, ces heures d'un demi-sommeil finalement plus fatiguant que réparateur, cette tension permanente, m'ont littéralement épuisé. C'est bien simple, j'ai l'impression d'avoir passé deux jours en mer par force 7 (ce qui est peut-être le cas tout compte fait).
Aussi, moi qui pensais initialement enquiller derrière cette perturbation pour profiter des reliquats de vent portant, j'ai décidé finalement de rester encore un peu à Santo André. Dans l'état de fatigue dans lequel je suis, je pense qu'il ne serait pas raisonnable de prendre la mer.

Je vais donc continuer ma petite vie tranquille pendant une semaine ou deux... Le temps qu'un nouveau front froid vienne du sud et m'emmène un peu plus loin. J'espère seulement qu'il n'aura pas la puissance de celui-ci ! Croyez-moi, j'apprécierais pour une fois un temps de demoiselle.