vendredi 2 mars 2018

La fin d'une histoire (?)

14°27.377N 60°52.005W
Baie des Cyclones, Le Marin, Martinique

Partie 1 : La claque dans la gueule

Bientôt deux ans que La Boiteuse est arrivée en Martinique et n'en n'a plus bougée. Deux ans que je sursois à un hypothétique départ. Deux ans que je tergiverse en tentant de ranger le bordel que j'ai dans la tête. Et pendant ces deux ans, vous mes lecteurs avez été bien patients... Très patients.
Surtout que je ne me souviens pas vous avoir précisé exactement ce qu'il se passait dans ma vie et dans ma tête... Et pour cause, je ne le savais vraiment pas moi-même. Ou du moins je n'arrivais pas encore à mettre des mots dessus.
Alors, histoire de poser les choses à plat afin d'y voir clair, j'ai décidé tant bien que mal de me remettre à l'écriture. Nous allons tenter ensemble, de retracer la suite des événements de ces deux dernières années, et de démêler l’écheveau quasi inextricable de mes pensées torturées... Bon courage à vous si vous décidez de continuer cette lecture !



Lorsque je suis arrivé en Martinique, en mars 2016, c'était pour une simple escale de quelques semaines, suffisante pour trouver des winchs d'occasion, et recharger mes batteries personnelles à grand renfort de nourriture française. Cela dit, après cinq années d'errance en terres étrangères je me suis rendu compte que mon pays, ma culture, m'avait quand même vachement manqué... Ou tout du moins, que c'était quand même beaucoup plus reposant de vivre parmi les siens. Bref, j'avais besoin d'une pause. D'un autre côté, l'argent n'allant pas tarder à manquer, j'avais également le vague espoir de trouver le job et la femme de mes rêves, pensant que mon parcours et mon expérience allait me rendre irrésistible auprès des marinas et des backpakeuses. Pour les winchs cela a pris un peu de temps mais j'ai finalement réussi à trouver la perle rare. Par contre pour le reste, j'ai vite compris que je me berçais d'illusions.

10 pays en cinq ans...
Car dans mes vagues projets, il est une chose que je n'avais absolument pas appréhendé, c'est mon âge. Qu'importe d'avoir l'expérience, quelques milliers de milles au compteur au sens propre, et de parler quatre langues, lorsque vous vous trouvez en compétition avec un type qui a vingt ans de moins et qui a le même profil, les types de cinquante ans ne font pas le poids. Et ceci est valable aussi bien sur le marché de l'emploi que pour les femmes...
De plus en ce qui concerne le travail, j'ai remarqué que les types de trente ans ont moins d'estime d'eux-même (ou d'orgueil, c'est comme vous voulez) et sont près à accepter des conditions de travail et de salaire que les types comme moi considèrent comme une insulte à leur propre personne. Et malgré cette humiliation permanente, ils sont tout de même capable d'offrir un projet de vie à la jeune femme qui passerait dans le coin par hasard en quête d'une vie pleine d'aventure (mais tout de même sécurisée quelque part)... Bref, je me trouvais hors-jeu sur les deux tableaux.

Pour vous dire la vérité, j'ai eu un peu de mal à encaisser cette réalité. De même j'ai eu un peu de mal à encaisser le fait de redevenir un quidam moyen... Car il est encore une chose que je n'avais pas bien réalisé tout au long de ces années d'errance, c'est le statu social que revêt le voyageur en voilier étranger. Vous êtes plus qu'un simple touriste, car votre mode de locomotion et d’hébergement sont plus impliquant. En clair, vous en avez supposément chié pour arriver ici, et ça, croyez-moi, les gens le respectent. Dans certains pays le simple fait d'être français vous confère une aura qui vous ouvre pas mal de portes d'ordinaire fermées, et dans d'autre c'est le contraire... Bon d'accord, il faut reconnaître aussi que dans la plupart des pays vous êtes plutôt considéré comme un portefeuille sur patte, vous pouvez même parfois être méprisé par pur racisme ou xénophobie, mais au moins vous êtes « quelqu'un ».
Alors qu'ici, dans les Antilles, et plus spécifiquement en Martinique, vous n'êtes rien. Je ne suis rien.
Je suis juste un voileux moyen comme il y en a des centaines, avec vingt ans de trop.

Alors c'est ça la France dont tu m'as tant parlé ?
Donc voilà, en arrivant en Martinique j'ai eu un aperçu de ce que pourrait être un éventuel retour en métropole... C'est à dire une grande claque dans la gueule. Et franchement, ça m'a fait mal.
Je me doutais bien que mon voyage allait en quelque sorte me déconnecter de la société, du moins d'une certaine forme de société, et c'était même un peu mon but quelque part. Je me doutais également qu'un éventuel retour à cette société ne se ferait pas sans réticence de ma part... Car quand on a goûté à la liberté, il est compliqué de se remettre des chaînes. Mais par contre je n'avais absolument pas envisager que si retour il y avait, ce serait elle qui me rejetterait. Je ne sais pas... Je crois que quelque part je me figurais que le monde allait m'accueillir comme un héro, un fils prodigue jadis égaré qui rentre au bercail riche d'expériences nouvelles utiles au plus grand nombre. Je pensais crânement être une source d'inspiration !

Tu parles... Le monde des terriens peut sans doute envier ceux qui choisissent la marginalité, mais les punissent dès qu'ils font mine de vouloir rentrer dans le rang. Ce fut une belle leçon de vie que j'appris à mes dépend.